Citations extraites du site de Patrick Lagadec
1. Mémoires
"Ne jugez pas les gens en fonction du nombre de bonnes réponses,
de solutions assurées tous risques et prêtes à
l'emploi qu'ils vous livrent ;
soyez bien plus attentif aux deux ou trois questions qui, en dépit
des confusions et erreurs alentour, vous ouvriront des regards neufs
sur le monde."
D'après Peter Schwartz :
The Art of the long view 48
Inquiétude radicale au bord du gouffre
Winston Churchill
"N'y avait-il pas déjà eu des précédents
? Athènes avait dû se soumettre à Sparte et
les Carthaginois avaient opposé à Rome une résistance
sans espoir. Il n'est pas rare dans les annales du passé
que des Etats courageux, fiers et insouciants, et même des
races entières aient été balayées de
telle façon que leur nom seul ait survécu, quand il
n'a pas été lui-même enseveli dans l'oubli.
Pourtant, je ne pouvais m'empêcher de penser qu'il y avait
plus de 2000 ans que les Anglais n'avaient pas vu les feux de bivouacs
étrangers s'allumer sur la terre britannique." 49
Détermination
Winston Churchill
"Qui peut affirmer que la cause de la civilisation elle-même
ne sera pas défendue par l'adresse et le dévouement
de quelques milliers d'aviateurs ? Dans toute l'Histoire des guerres
de ce monde, je ne pense pas qu'une pareille occasion ait jamais
été offerte à la jeunesse. Les Chevaliers de
la Table Ronde et les Croisés s'évanouissent dans
un passé non seulement lointain, mais prosaïque, quand
on les compare à ces jeunes gens qui s'élèvent
chaque matin dans le ciel pour défendre leur sol natal et
tout ce que représente leur pays, tenant entre leurs mains
des instruments d'une puissance immense et fulgurante, ces jeunes
gens dont on peut dire :
Le soleil chaque jour enfantait l'aventure,
l'aventure enfantait un chevalier sans peur
méritent notre reconnaissance, […]. Never was so much
owed to so few…" 50
Winston Churchill
Benoist-Méchin : "Sa volonté est comparable
à celle d'un William Pitt qui, torturé par la goutte,
les membres enveloppés de pansements et marchant sur des
béquilles, trouvait encore la force de répondre à
un amiral qui lui affirmait que ce qu'il lui demandait était
impossible : "-Monsieur, regardez-moi ! Je marche sur des impossibilités
!"" 51
Winston Churchill
"I have, myself, full confidence that if all do their duty,
if nothing is neglected, and if the best arrangements are made,
as they are being made, we shall prove ourselves once again able
to defend our Island home, to ride out the storm of war, and to
outlive the menace of tyranny, if necessary for years, if necessary
alone. At any rate, that is what we are going to try to do.
That is the resolve of His Majesty's Government-every man of them.
That is the will of Parliament and the nation. […] Even though
large tracts of Europe and many old and famous States have fallen
or may fall into the grip of the Gestapo and all the odious apparatus
of Nazi rule, we shall not flag or fail. We shall go on to the end,
we shall fight in France, we shall fight on the seas and oceans,
we shall fight with growing confidence and growing strength in the
air, we shall defend our Island, whatever the cost may be, we shall
fight on the beaches, we shall fight on the landing grounds, we
shall fight in the fields and in the streets, we shall fight in
the hills ; we shall never surrender, and even if, which I do not
for a moment believe, this Island or a large part of it were subjugated
and starving, then our Empire beyond the seas, armed and guarded
by the British Fleet, would carry on the struggle, until, in God's
good time, the New World, with all its power and might, steps forth
to the rescue and the liberation of the old." 52
Erreur de représentation
Christophe Colomb arrive en Asie
"Observateur minutieux de la mer et des vents, Colomb restera
pourtant, quant au terme de son voyage, prisonnier de ses rêves.
Il est résolu à trouver partout la preuve qu'il est
bel et bien parvenu aux confins de l'Asie. La botanique, champ nouveau
aux images non encore vulgarisées par l'imprimerie, devint
son domaine d'élection. A peine a-t-il posé le pied
sur la côte nord de Cuba qu'il y découvre partout la
flore asiatique. Un arbuste à la vague odeur de cannelle
devient aussitôt un cannelier, promesse de cargaisons entières
d'épices. Le gombo des Indes occidentales, affirme-t-il,
doit être l'équivalent asiatique du lentisque des régions
méditerranéennes. Une petite noix non comestible,
le nogal de pais, devient un peu hâtivement la noix de coco
décrite par Marco Polo. Le médecin du bord, examinant
les racines découvertes par l'équipage, décrète
obligeamment qu'il s'agit de rhubarbe de Chine, fort appréciée
comme purgatif (ce n'était que de la vulgaire rhubarbe des
jardins). Mais tant de fausses odeurs finissaient curieusement par
créer les authentiques parfums d'Orient.
Il n'en fallait pas plus, dans l'esprit de Colomb, pour confirmer
la justesse de ses thèses." 53
Positionnement, posture
Maurice Grimaud, Mai 1968
"Voyant la tournure que prenaient les événements,
et sachant dès lors que tout pouvait arriver, j'adoptai par-devers
moi une règle de conduite qui m'aida grandement à
traverser les semaines suivantes.
Je savais qu'il fallait sortir de ce chaos sans perdre pied. Je
n'avais pas souhaité être préfet de police,
mais puisque j'étais à ce poste, il n'était
pas question que j'abandonne les affaires de l'Etat à la
rue, c'est-à-dire à l'émeute. J'étais
là sur une ligne ferme et solide dont me rassura la simple
évidence dès que je l'eus formulée.
L'autre terme de mon problème, c'était d'éviter
que les désordres ne débouchent sur quelque drame
sanglant. Autant que le sentiment, c'était la raison qui
me dictait ce langage, car je savais que si un soir nous avions
à relever, sur le sol jonché de débris de cageots
brûlés et d'arbres tronçonnés, les dizaines
de morts d'une fusillade, cela risquait d'être le signal d'une
aventure dont nul ne pouvait prévoir l'issue.
Je tenais solidement les deux bouts de la chaîne, et ma conduite
fut inspirée par cette double conviction. Si elle ne me préserva
jamais totalement de l'angoisse, elle me donna, vis-à-vis
des péripéties mineures de cette traversée,
une précieuse sérénité." 54
Fins de crise
Maurice Grimaud, Mai 1968
"Dans le feu de l'action, nous n'avions pas vraiment redouté,
mes collaborateurs et moi, de voir les insurgés prendre le
pouvoir. Je fus plus troublé, passé le péril,
de constater combien le pouvoir, lui, paraissait pressé d'effacer
jusqu'au souvenir de ces événements qui avaient tant
effrayés, tout un long mois, gouvernants et gouvernés.
Ne fallait-il pas rappeler à ces hommes oublieux que l'on
n'a pas toujours la chance de recevoir les avertissements du destin
? ". (p. 11)
Et puis, je voyais avec peine, comme Mai s'éloignait, s'installer
le mépris et l'arrogance sur les débris de la peur.
[…] J'aurais aimé un triomphe plus modeste, une foule
aussi nombreuse mais silencieuse et méditant sur ce moment
étrange où le destin de la France était, comme
plus d'une fois dans son histoire, en suspens entre des espérances
contradictoires. L'ordre, certes, allait revenir, et c'était
bien, mais il ne fallait pas que soient étouffées
les voix qui avaient pendante trente jours appelé à
la naissance d'un monde plus juste, moins oppressifs. La France
de l'ordre ne devait pas fermer ses oreilles aux cris de sa jeunesse,
sinon tout recommencerait un jour…" 55
48/ D'après Peter Schwartz : The Art of the long view
- Planning for the future in an uncertain world, Doubleday,
New-York, 1991, p. 83.
49/ In Benoist-Méchin : Soixante jours qui ébranlèrent
l'Occident - 10 mai-10 juillet 1940, Bouquins, Robert Laffont,
1956, p. 804-805.
50/ Idem
51/ Idem
52/ The speeches of Winston Churchill, Penguin Books, London,
1990, p.165.
53/ Daniel Boorstin : Les découvreurs, Laffont, Bouquins,
1988, p. 206.
54/ Maurice Grimaud : En mai, fais ce qu'il te plaît, Stock,
Paris 1977, p. 135-136.
55/ Maurice Grimaud : En mai, fais ce qu'il te plaît,
Stock, Paris 1977, p. 322-323.
2. Fictions
Évitement bureaucratique acharné
Albert Camus : La Peste
"Le lendemain, grâce à une insistance jugée
déplacée, Rieux obtenait la convocation à la
préfecture d'une commission sanitaire. […] "La
question, dit brutalement le vieux Castel, est de savoir s'il s'agit
de la peste ou non." Richard déclara qu'à son
avis, il ne fallait pas céder à l'affolement […]
Le vieux Castel [...] fit remarquer qu'il savait très bien
que c'était la peste, mais que, bien entendu, le reconnaître
officiellement obligerait à prendre des mesures impitoyables.
Il savait que c'était, au fond, ce qui faisait reculer ses
confrères et, partant, il voulait bien admettre pour leur
tranquillité que ce ne fût pas la peste. […]
Rieux […] : il importe peu que vous l'appeliez peste ou fièvre
de croissance. Il importe seulement que vous l'empêchiez de
tuer la moitié de la ville. Richard trouvait qu'il ne fallait
rien pousser au noir et que la contagion d'ailleurs n'était
pas prouvée puisque les parents de ses malades étaient
encore indemnes. Mais d'autres sont morts, fit remarquer Rieux.
[…] Il ne s'agit pas de rien pousser au noir. Il s'agit de
prendre des précautions.
Richard, cependant, pensait résumer la situation en rappelant
que pour arrêter cette maladie, si elle ne s'arrêtait
pas d'elle-même, il fallait appliquer les graves mesures de
prophylaxie prévues par la loi; que, pour ce faire, il fallait
reconnaître officiellement qu'il s'agissait de la peste ;
que la certitude n'était pas absolue à cet égard
et qu'en conséquence, cela demandait réflexion. La
question, insista Rieux, n'est pas de savoir si les mesures prévues
par la loi sont graves mais si elles sont nécessaires pour
empêcher la moitié de la ville d'être tuée.
Le reste est affaire d'administration et, justement, nos institutions
ont prévu un préfet pour régler ces questions.
- Sans doute, dit le préfet, mais j'ai besoin que vous reconnaissiez
officiellement qu'il s'agit d'une épidémie de peste.
- Si nous ne le reconnaissons pas, dit Rieux, elle risque quand
même de tuer la moitié de la ville. […]
Richard hésita et regarda Rieux : "Sincèrement,
dites-moi votre pensée, avez-vous la certitude qu'il s'agit
de la peste?"
- Vous posez mal le problème. Ce n'est pas une question de
vocabulaire, c'est une question de temps." 56
Aveuglement déterminé
Dino Buzzati, Le Désert des
Tartares
Dans leur fort, face au désert, deux officiers ont perçu,
grâce à une longue vue non réglementaire, l'étrange
manège de l'ennemi, qui ne peut que laisser présager
une attaque par le nord. Personne n'attend pareille attaque, personne
ne veut y croire. Cette occurrence est exclue des plans d'état-major.
Inopportune, elle doit être impossible à étayer.
La hiérarchie réagit.
"L'hiver était descendu depuis plusieurs jours déjà
sur le fort quand on lut, sur la décision quotidienne affichée
dans son petit cadre, une étrange communication.
"Faux bruits et regrettable agitation", était-il
écrit. "Suivant les instructions précises du
commandement supérieur, j'invite les sous-officiers, gradés
et hommes de troupe à n'accorder aucun crédit à
des bruits dénués de tout fondement concernant des
menaces présumées d'agression contre nos frontières
; je les invite en outre à ne pas répéter et
à s'abstenir de répandre, de quelque façon
que ce soit, lesdits bruits. Ces bruits, outre qu'ils sont inopportuns
pour de simples raisons de discipline, sont susceptibles de troubler
les bons rapports entretenus avec l'Etat voisin, et de provoquer
chez les hommes une nervosité inutile, nuisible à
la bonne marche du service. Je désire que la surveillance
effectuée par les sentinelles le soit avec des moyens normaux,
et que, surtout, il ne soit pas fait recours à l'usage d'instruments
d'optique d'un modèle non réglementaire, et qui, souvent
employés sans discernement, prêtent facilement à
l'erreur et aux fausses interprétations. Quiconque est en
possession de tels instruments devra en faire la déclaration
à son commandant de compagnie, lequel se chargera de confisquer
lesdits instruments et de les garder.""
La condamnation qui prend le pas sur
la reconnaissance des actes positifs
William Shakespeare, Henry VIII
"Men's evil manners live in brass; their virtues we write in
water." 58
[Adaptation aux problèmes qui se posent si l'on refuse le
retour d'expérience :
"Difficultés et erreurs se gravent dans le bronze ;
les réussites se meurent dans les mémoires, comme
l'eau du ruisseau se perd dans l'océan"]
La volonté déterminée
André Costa, L'appel du 17 juin (fiction)
""Français, Françaises. Le sort douloureux
qui accable la France m'a placé à la tête du
pays, non seulement afin de soulager ses souffrances mais aussi
pour sauvegarder la dignité nationale. J'ai demandé
à l'adversaire d'interrompre la lutte armée et de
placer la controverse sur le plan humanitaire de la négociation
diplomatique. La délégation française, animée
par le Général de Gaulle, a malheureusement trouvé
en face d'elle un ennemi acharné à réduire
la Nation et les conditions contraignantes qu'on voulait nous imposer
ont été repoussées avec indignation.
En conséquence, Français, Françaises, la guerre
continue…"
Philippe Pétain
Maréchal de France
Chef du Gouvernement." 59
Adieu beautés formelles, bonjour le bricolage
stratégique
André Costa, L'appel du 17 juin (fiction)
"La discussion, puis l'étude technique du projet
durèrent quarante huit heures. […] La hardiesse de l'opération
combinée effarouchait quelque peu le maréchal Pétain,
mais il était séduit par le dynamisme tranquille du
général de Hauteclocque. Faisant du regard le tour
de ses interlocuteurs, le vieux soldat soupira :
- "Si je comprends bien, vous aspirez à devenir les
spécialistes du bricolage stratégique ?"
Le général de Gaulle se redressa sur sa chaise :
- "Monsieur le Maréchal, il semblerait que ce type d'action
ait été jusqu'à présent favorable à
nos armes… Au reste, une victoire bricolée me paraît
préférable à n'importe quelle défaite
bien pensée !"" 60
56/ Albert Camus : La Peste, Gallimard,
Livre de Poche, n°132, 1947, extraits, p. 41-43.
57/ Dino Buzzati : Le Désert des Tartares, Laffont,
Livre de Poche, 1980, p. 195.
58/ William Shakespeare : Henry VIII, Act 2, Scene 2.
59/ André Costa : L'Appel du 17 juin, JC Lattès,
Paris, 1980, p. 49;
60/ André Costa : L'Appel du 17 juin, JC Lattès,
Paris, 1980, p. 282.